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La paroisse et l’Église - par Alexander Schmemann (1959)

La paroisse et l’Église

Protopresbytre Alexander Schmemann

1. Les débats au sujet des Statuts de l’Église catholique orthodoxe russo-grecque d’Amérique adoptés par le Neuvième Concile de toute l’Amérique de 1955 ne sont pas des débats « techniques » mais ils ont une profonde signification de principe. Y sont impliquées des questions fondamentales relativement à la vie et l’organisation de l’Église. Le caractère passionné de ces débats montre manifestement que nous nous retrouvons non seulement devant deux cadres « pratiques » différents entrant en conflit l’un avec l’autre mais bien devant deux conceptions différentes quant à toute la structure canonique de l’Église. Dans l’Église – qui est un organisme vivant en croissance –, il y a place pour le débat; rechercher la vérité et trouver les réponses adéquates aux problèmes de la vie moderne est légitime. Mais de tels débats seront fructueux et utiles seulement si les deux parties acceptent inconditionnellement, comme terrain commun et point de départ, l’enseignement éternel et immuable de l’Église orthodoxe tel qu’exprimé dans ses dogmes et canons. Les dogmes et canons de l’Église ne peuvent faire l’objet d’une révision; une telle « révision » reviendrait à se brouiller avec l’Église, à rejeter l’Orthodoxie. Nous aimerions que tous ceux qui débattent des Statuts aient toujours cela à l’esprit et comprennent que la question soulevée est celle-ci : ou nous demeurons orthodoxes ou bien, sous l’appellation « Orthodoxie », est en émergence quelque chose d’étranger à l’Église, quelque chose qui équivaut à une trahison rendant absurdes et futiles toutes les discussions au sujet de l’organisation ecclésiale.

2. Toutes les discussions au sujet des Statuts sont pratiquement centrées sur le problème de la paroisse et ont trait aux questions suivantes : qui est à la tête de la paroisse? De quelle manière la paroisse devrait-elle être organisée et dirigée? Plusieurs points de discussion cruciaux demandent à être élucidés. Cet exposé vise à donner une brève analyse quant à ces points qui présentent clairement un écart flagrant par rapport aux principes fondamentaux de la tradition canonique et dogmatique de l’Orthodoxie. C’est intentionnellement que nous avons utilisé l’expression tradition « dogmatique » car, en dépit de l’idée très répandue voulant que les domaines dogmatique et administratif n’entretiennent pas de relation entre eux, l’Église a toujours considéré que ces deux domaines sont deux parts inséparables de la même tradition fondées sur les mêmes principes dogmatiques. L’organisation ecclésiale et son « administration » sont entièrement conditionnées par la foi de l’Église, c’est-à-dire par la doctrine que l’Église a conservée en ce qui la concerne. Il est donc erroné de penser que la foi de l’Église puisse être préservée advenant que son organisation diocésaine et paroissiale soit édifiée sur des fondations administratives et juridiques nouvelles à caractère purement séculier. Je n’ai pas l’intention en cet exposé de déterminer à qui revient la responsabilité pour une situation souvent utilisée afin de justifier la nécessité de nouvelles formes et normes dans l’Église. Il s’agit là d’une question vaste et complexe. Mais quel que soit celui qui en porte la responsabilité et peu importe la nouveauté de la présente situation, les principes fondamentaux de l’organisation ecclésiale ne peuvent en dépendre. Les points énumérés ci-dessous sont tellement fondamentaux que tout écart par rapport à leur signification canonique originelle serait, comme je l’ai dit précédemment, l’équivalent d’un écart par rapport à la tradition orthodoxe.

3. Le premier de ces points a trait à la question de la relation entre la paroisse, d’une part, et les autorités diocésaines – plus généralement ecclésiastiques –, d’autre part.

Dans la pratique, y est fait référence aux soi-disant « paroisses indépendantes », c’est-à-dire à celles qui déterminent unilatéralement leur relation à l’égard des autorités ecclésiastiques. Selon la tendance générale, la conception traditionnelle de la paroisse vue comme étant une partie d’un organisme plus large (le diocèse, l’Église) contredit la loi américaine, plus précisément la loi d’état relative à la constitution en personne morale; toujours selon cet argument, la paroisse est constituée en personne morale conformément aux lois de l’état, ce qui forcément la rend administrativement indépendante et autonome. Cependant, aux yeux de toute personne ayant quelque connaissance quant à la législation américaine, et en particulier celle concernant la religion, il sera évident que cette assertion repose sur l’ignorance ou bien qu’elle est faite dans une intention mauvaise.

1) Le principe américain de la séparation entre l’Église et l’État permet à toute communauté religieuse d’organiser sa vie et son administration propres en conformité avec les enseignements et règles de sa foi.

2) La constitution d’une paroisse en personne morale n’en fait nullement un corps « indépendant » et « autosuffisant », parce que tout dépend de la sorte de communauté qui est « constituée en personne morale »; ce n’est donc pas la constitution en personne morale qui définit la structure d’une communauté particulière mais bien l’inverse, la structure et les principes fondamentaux de la communauté définissent la forme de la constitution en personne morale. En d’autres mots, tout dépend de la façon avec laquelle la paroisse se considère et se définit, donc toute référence à la loi américaine n’a aucun sens ici parce que le seul but de la loi est de protéger et de légaliser l’autodétermination d’un groupe de croyants. En ce qui concerne l’organisation et l’administration de l’Église orthodoxe américaine, la loi civile est muette.

Il est donc clair que cette idée d’une « paroisse indépendante » repose sur une notion erronée au sujet de l’Église et constitue une rébellion contre ses normes fondamentales. Rappelons brièvement quelles sont ces normes.

I. Canoniquement, de même qu’administrativement, la paroisse est une partie de l’Église et, comme tout dans l’Église, elle est assujettie aux autorités ecclésiales et, en premier lieu, à son évêque. Une paroisse se disant « indépendante » par rapport à son évêque ou une paroisse qui ne reconnaît l’autorité de ce dernier qu’au plan spirituel et non au plan administratif constitue une absurdité canonique.

II. L’évêque diocésain a autorité sur la paroisse de la façon suivante : il nomme son clergé et supervise constamment, personnellement ou par l’intermédiaire de son clergé, toute la vie et les activités paroissiales. Cela ne mène ni à une règle arbitraire ou à l’« absolutisme » car les canons de l’Église orthodoxe, de même que les Statuts de 1955, définissent très précisément les moyens à compter desquels l’évêque exerce son autorité; mais isoler toute sphère de la vie paroissiale et prétendre que cette sphère ne relève pas de la compétence et de la juridiction des autorités ecclésiales revient à contredire la notion même de l’Église telle qu’exprimée en ces mots de saint Ignace le Théophore : « dans l’Église, rien se fait sans l’évêque ».

III. De ce point de vue, le pasteur est le représentant de l’évêque et de son autorité à la paroisse. Les droits et devoirs du pasteur sont également définis formellement par les canons de l’Église et les Statuts. Mais il ne peut être souligné trop fortement que cette notion voulant qu’un prêtre soit une personne embauchée soumise aux demandes de ses employeurs et assujettie aux conditions que lui imposent ces derniers est non seulement erronée mais aussi clairement hérétique. Nous devons nous souvenir qu’un prêtre de paroisse – laquelle est une partie de l’Église – représente l’Église elle-même, ses traditions, ses enseignements, sa hiérarchie; le pasteur n’est pas subordonné à ses paroissiens mais lui et ces derniers sont assujettis aux buts, tâches et intérêts de l’Église. Et le pasteur voit les intérêts de la paroisse à la lumière de cette relation de la paroisse à l’Église dans son ensemble.

IV. L’enseignement orthodoxe sur l’Église affirme la possibilité et la nécessité d’une coopération entre le clergé et les laïcs à tous les niveaux et dans toutes les sphères de la vie ecclésiale (le Concile, le Conseil métropolitain, le Conseil diocésain, les comités ecclésiaux). Par conséquent, la doctrine orthodoxe rejette non seulement une autorité qui serait monopolisée par le clergé (cléricalisme romain) mais également la distinction entre une sphère qui serait soumise au pouvoir clérical et une autre sphère qui n’en relèverait pas (protestantisme). Dans l’Église orthodoxe, tout est fait ensemble, dans une unité du clergé et des laïcs. Mais le terme « ensemble » signifie premièrement que l’évêque et le prêtre participent de droit à toutes les sphères de la vie paroissiale et, deuxièmement, que leur revient, conformément au principe hiérarchique, le droit et le devoir religieux de donner leur approbation à toutes les activités. Rien ne peut se faire dans l’Église sans la hiérarchie ou à son encontre, parce qu’en vertu de la nature même de l’Église, tout, incluant les sphères matérielle, financière et économique de la vie ecclésiale, est assujetti au but religieux de l’église. Une paroisse ne construit pas une église, une école ou tout autre édifice, ni ne collecte des fonds dans le seul but de s’enrichir; tout cela est fait afin de dispenser l’enseignement du Christ et de promouvoir le bien-être de l’Église. Toute sphère de l’activité paroissiale est donc intrinsèquement subordonnée aux buts religieux et devrait être examinée et évaluée à la lumière de ces buts. Par conséquent, la direction active et la participation à la vie paroissiale, de même que son contrôle, par le responsable spirituel de la paroisse est à la fois nécessaire et évident.

À la lumière de ces principes, nous devrions condamner inconditionnellement toute atteinte visant à :

1) rendre une paroisse indépendante par rapport au diocèse, au district métropolitain et à tous les autres organes du pouvoir ecclésial légalement constitués;

2) « constituer en personne morale » une paroisse en contradiction avec les principes énoncés ci-dessus;

3) faire une distinction entre les sphères « spirituelle » et « matérielle » de l’activité paroissiale;

4) traiter le prêtre de la paroisse comme un « mercenaire » qui peut être embauché ou congédié suite à une décision du comité ecclésial;

5) priver le prêtre du poste de meneur qui lui revient de droit en toutes les formes de la vie paroissiale.

À notre avis, refuser d’accepter les points énumérés ci-haut équivaut à une violation des principes fondamentaux de l’Orthodoxie; ce danger que nous avons présenté devrait être porté à l’attention de tous les Orthodoxes.

Le Très Révérend Alexander Schmemann
Publié par : Le Comité de convocation du 10ème Concile de toute l’Amérique de l’Église catholique orthodoxe russo-grecque d’Amérique [NY], 1959.